par Jean-Luc Velay, Chargé de recherches au laboratoire de neurosciences cognitives, Aix Marseille Université

Conférence donnée à la Journée des dys 2016 de la région PACA le Samedi 8 octobre 2016 au Château de la Buzine

 

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Evolution de l’écriture

Aujourd’hui nous vivons une période charnière pour l’écriture. Les conséquences peuvent être très importantes, si la méthode change au niveau de l’apprentissage de l’écriture.

Dans la vie courante, on n’écrit plus exactement de la même façon qu’on écrivait par le passé. Pour gagner du temps, on utilise souvent les tablettes, les smartphones et les ordinateurs.

Ce changement d’écriture n’est pas le premier et si on retrace rapidement l’histoire de l’écriture, les premières traces d’écriture qu’on trouve, sont sur des tablettes d’argile. On retrouve en Mésopotamie (Irak actuelle), l’écriture qu’on pratiquait sur ces tablettes d’argile fraiche qui remonte à 3000/4000 ans avant l’ère Chrétienne.

Pour écrire sur ces tablettes, on n’écrivait pas en faisant les gestes d’écriture manuscrite. On poinçonnait en quelque sorte avec des roseaux taillés avec des formes différentes, qu’on appliquait sur ces tablettes. Lorsque c’était fini, on les faisait cuire pour les rigidifier.

Dans les années 60, le passage de l’encrier avec porte-plume au stylo à bille, s’est fait douloureusement. Beaucoup de gens y étaient opposés car l’écriture était tout un art. On y accordait beaucoup d’importance et le passage au stylo a fait perdre ses caractéristiques de belle écriture, comme on aimait la voir à cette époque-là.

Aujourd’hui, l’écriture prend un virage un peu plus radical que celui du stylo à bille car le geste d’écriture devient bi-manuel. L’écriture, par définition, est quelque chose qui fixe une main dominante. Le critère premier de la dominance manuelle quand on interroge quelqu’un est : quelle main utilisez-vous pour écrire ?

L’écriture dactylographique n’impose plus cette dominante, les gauchers en sont ravis car ils peuvent utiliser la main gauche qui a autant d’importance que la main droite.

Lorsqu’on écrit au clavier, le geste effectué n’a plus rien à voir non plus avec celui que l’on fait quand on écrit à la main.

Pour que l’écriture manuscrite devienne rapide, on passe beaucoup de temps à apprendre à l’école maternelle puis au primaire, à faire un mouvement qui doit être le plus proche possible de la forme de la lettre qu’on doit reproduire. Chaque lettre est associée à son mouvement particulier.

Quand on apprend à écrire au clavier, le mouvement n’a plus rien à voir avec la forme de la lettre.

C’est un mouvement de pointage, à peu près rectiligne vers un point particulier d’un espace particulier du clavier. Quand on fait ce mouvement de pointage, on appuie sur une touche et la lettre à produire apparaît immédiatement dans sa bonne forme, au bon endroit.

Le lien dont on parlait précédemment  entre le mouvement d’écriture et la forme visuelle de la lettre, est rompu complètement avec l’écriture au clavier.

Il est vrai que dans les deux cas, on produit du texte, des mots etc…

Ces différences peuvent avoir de l’importance et les questions que l’on se pose depuis maintenant une vingtaine d’années sont :

  • Ecrirait-on la même chose avec la même qualité au clavier qu’à la main ?
  • Est-ce que l’on gérerait l’orthographe de façon identique si on ne savait pas écrire à la main ?
  • Lirait-on de la même façon si on ne savait plus écrire à la main ?

Des expériences ont été faites sous IRM fonctionnelles.

Dans la 1ère partie de l’expérience, on a demandé aux sujets étudiés de lire, de regarder des caractères alphabétiques, des lettres, en étant complètement passifs. Pour le 1er groupe test, il s’agissait d’adultes, sachant écrire, lire et droitiers. Il leur était demandé de regarder soit des lettres, soit des pseudos lettres (caractères qui ressemblent à des lettres).

Dans la 2ième partie de l’expérience, les mêmes caractères ou les mêmes lettres étaient présentés mais cette fois-ci, les sujets devaient les écrire tout en étant dans la machine pour passer l’IRM. Ils étaient couchés, devaient regarder un miroir qui leur permettait de voir un écran placé derrière eux et ils écrivaient sur une tablette placée sur leur ventre.

Malgré ces conditions d’écriture très éloignées de la réalité, l’expérience a été intéressante. On a observé chez les 11 sujets droitiers et 15 sujets gauchers qu’une zone du cerveau s’activait en regardant les lettres. Cette zone est une zone très particulière, car elle est impliquée dans les mouvements d’écriture et même en situation de simple lecture, dans notre cerveau cette zone liée à l’écriture s’active. Il s’agit d’une zone sensorimotrice qui normalement n’a rien à voir avec la lecture puisqu’elle est plutôt en lien avec l’écriture.

Chez les gauchers et chez les droitiers, on trouve la même zone du cerveau symétrique dans les 2 hémisphères.

Lorsqu’on est droitier, on a appris à écrire avec son hémisphère gauche, c’est l’inverse pour les gauchers.

Pour conclure, lorsque l’on regarde les caractères alphabétiques, dans cette situation passive de lecture on réactive quelque chose en lien avec l’écriture.

Ceci est dû au fait qu’à l’école, nous avons créé une représentation de l’écrit, des lettres et il s’agit uniquement d’une représentation visuelle. Celle que l’on utilise quand on doit lire a aussi d’autres composantes.

Elle a une composante phonologique, visuelle et sensorimotrice. Quand on lit, la 1ère chose qu’on sollicite est la partie visuelle du cerveau, mais comme c’est relié au sensorimoteur et au phonologique, on remarque dans nos expériences, une réactivation de la sensorimotricité.

Cela signifie que nous avons une mémoire motrice des lettres, acquise pendant l’apprentissage. Sans apprentissage de l’écriture manuscrite, aurions nous cette mémoire ou serait-on moins bon pour identifier les lettres ?

Une nouvelle expérience a été faite en maternelle avec 2 groupes d’enfants.

Un groupe à qui on a appris à écrire à la main et l’autre groupe a été mis au clavier.

On leur a appris une quinzaine de lettres pendant 3 semaines.

Le test consistait ensuite à vérifier la capacité qu’avaient les enfants à identifier les lettres.

Les enfants qui avaient appris à écrire les lettres à la main étaient meilleurs pour identifier les lettres que ceux qui les avaient apprises au clavier. Ceux qui les avaient apprises au clavier, avaient tendance à montrer l’image en miroir de la lettre.

Une expérience identique a été faite avec 24 jeunes adultes avec des alphabets un peu lointains, issus d’Inde et du Sri Lanka.

Un groupe a appris ces caractères à la main, un autre au clavier.

A ces adultes on a demandé si les lettres étaient les bonnes ou si elles étaient en miroir. Dès la fin de l’apprentissage, une petite différence était relevée. Ceux, dont les caractères ont été appris à la main, semblaient avoir donné davantage de bonnes réponses, mais cette différence n’est pas significative.

En revanche, ce qu’on constate bien, c’est qu’au bout de quelques semaines, on a moins bien mémorisé. Cet oubli est bien plus marqué pour ceux qui ont appris les caractères au clavier, tandis que la mémoire est plus durable pour ceux qui ont appris à la main.

Cette 2ème expérience montre que cette mémoire du geste graphique, joue très probablement un rôle dans notre capacité à identifier visuellement les lettres et en particulier leur orientation.

On a pu faire une expérience IRM avec les jeunes adultes, ce qui n’avait pas été possible avec les enfants. Pendant la reconnaissance des caractères dans l’IRM,  nous avons constaté que des zones de leur cerveau s’activent uniquement dans le cadre des lettres manuscrites. Lorsqu’ils regardent des lettres qu’ils savent écrire et lorsqu’ils regardent des lettres qu’ils savent taper au clavier, ce ne sont pas les mêmes zones du cerveau qui s’activent.

Autrement dit, notre cerveau, même en 3 semaines, est suffisamment plastique pour pouvoir enregistrer et mémoriser quelque chose qui est en rapport avec la trace graphique et on utilise cela en situation visuelle de reconnaissance des lettres.

Cela donne une certaine importance à ce mouvement d’écriture, ce que l’on ne retrouve pas pour l’écriture au clavier.

Reconnaître des lettres, ce n’est pas de la lecture mais c’est tout de même important puisque lire, c’est lire des mots, et ce qu’on identifie dans les mots au départ, ce sont les lettres qui les composent.

Ceux qui ont appris à écrire au clavier sont moins à l’ aise pour identifier les lettres et les mots et on peut penser qu’ils vont peut-être lire plus lentement ou avec plus de difficultés.

Aujourd’hui, il ne s’agit pas d’une certitude absolue, pour en être certain, il faudrait prolonger cette expérience pendant des mois et même des années car lire implique bien plus que la simple reconnaissance de lettres.

Une étude publiée récemment a montré que lorsqu’on demande à des étudiants de prendre les notes au clavier et à d’autres de le faire à la main, si ensuite on les questionne sur ce cours, ceux qui ont pris les notes manuscrites sont plus performants pour restituer le cours.

Quand on prend les notes à la main, comme l’écriture manuscrite est plus difficile à produire que l’écriture au clavier et qu’elle est plus lente, on est amené par paresse à reformuler mentalement ce que l’enseignant à dit, à le synthétiser pour minimiser la quantité d’écriture. Les autres copient textuellement ce que dit l’enseignant donc ils apprennent moins bien.

L’écriture au clavier présente toutefois de nombreux avantages puisqu’elle est plus rapide et plus facile, et peut s’avérer utile pour des enfants qui sont dysgraphiques et dyspraxiques. Si un enfant a des difficultés pour produire le geste, il ne peut pas se concentrer sur ce qui est important dans l’écriture.

Ce n’est pas la forme de ce qu’on écrit qui est important, c’est le contenu, c’est le fond. L’objectif quand on apprend à écrire c’est d’être capable d’exprimer des idées correctement et, autant que possible, pas trop lentement.

Merci à Carole Ruggieri, Déléguée AAD Var, pour ce compte-rendu