Plusieurs tribunes récentes accusent les pratiques de scolarisation inclusive des élèves en situation de handicap de tous les maux.

Dans un contexte de mal-être grandissant des enseignants et des directeurs, auquel il est urgent de trouver des réponses, nous affirmons qu’il ne faut pas se tromper de combat.
L’approche par les droits, que revendiquent aujourd’hui les personnes en situation de handicap, les jeunes et leurs familles, et certaines des associations qui les représentent, est dans la continuité des luttes contre toute forme de discrimination. Il serait enfin temps de penser à l’intérieur les personnes que nous avons une propension incroyable à vouloir placer à l’extérieur de notre société (au sens notre maison commune).

Explications.

Pour certains enseignants s’exprimant sur les réseaux sociaux, prôner aujourd’hui un modèle inclusif nous classe dans une catégorie de militants intégristes. Nous ne serions que des accélérateurs de la casse d’un modèle de service public idéal qui proposerait des espaces de vie, d’éducation, et de soins distincts aux enfants « ordinaires » d’une part, et aux enfants « handicapés » d’autre part. Pour leur bien. Pire, à vouloir reprendre la thématique de l’école inclusive, nous sommes accusés d’agir pour le compte du gouvernement et sa présumée politique d’austérité. Nous ne serions pas sincères à travers nos « beaux discours moralisateurs ». Difficile dans ces conditions d’être audibles quand nous souhaitons expliquer la complexité de la transformation à mettre en œuvre par tous les acteurs.

Essayons quand même.

Pour tout enfant, l’inscription, puis la scolarisation, se fait dans l’école de son quartier. C’est la démarche que font aujourd’hui les parents sans avoir à craindre un quelconque rejet de la part de l’école. C’est un droit, consacré par des textes nationaux et internationaux, que nul ne songe à remettre en cause.

Sauf pour les enfants handicapés.

Pourquoi devrait-il en être autrement pour les enfants ayant des besoins éducatifs particuliers ? Parce qu’ils auraient besoin de plus de soins ? de rééducation ? C’est-à-dire d’accueil dans des institutions médicalisées et des hôpitaux de jour ? Parce qu’être reconnu comme personne handicapée ferait perdre soudainement des droits, réfuterait des aspirations, prioriserait leurs besoins, au détriment de leur choix de vie ?

Un lourd héritage culturel.

Notre système éducatif s’est progressivement scindé en deux, proposant des structures spécialisées avec des professionnels spécialisés pour des enfants spéciaux, et des structures ordinaires pour les enfants ordinaires. La construction du secteur médico-social a paradoxalement contribué à bâtir une société qui pérennise aujourd’hui des mécanismes d’exclusion.
La loi de février 2005, dont aujourd’hui encore des syndicats enseignants demandent l’abrogation, s’inscrit dans un mouvement historique international pour une approche inclusive. Nous n’allons pas ici faire l’inventaire exhaustif des textes et traités internationaux, de la déclaration de Salamanque aux conventions internationales des droits de l’enfant et des droits des personnes handicapées : tous ont été adoptés sous la pression des personnes concernées elles-mêmes. Ces textes recommandent le libre accès à un enseignement au sein du système général pour tous, une liberté de choix et d’accès aux mêmes services que l’ensemble de la population sur la base de l’égalité avec les autres.
Cette approche par les droits, c’est-à-dire « l’obligation à répondre aux droits des individus » n’est pas limitée à la question de la scolarisation des élèves handicapés, loin de là ! Mais force est de constater que pour eux et leurs familles, malheureusement, elle n’est pas toujours reconnue.

L’école inclusive que nous proposons repose sur une conviction forte : tous les enfants peuvent apprendre. Tous les enfants peuvent être élèves. Nous affirmons que ce qui fait société, c’est notre capacité à vivre ensemble sans exclusive, sans hiérarchiser les existences. Comme le dit Charles Gardou, « il n’y a ni vie minuscule, ni vie majuscule ».

Alors pourquoi cela ne va pas de soi ?

Parce que c’est une rupture totale avec nos organisations précédentes, un changement de paradigme. Nous le savons, toute transformation génère de l’incertitude, des appréhensions, de la tension pour l’ensemble des acteurs.
Il nous faut apprendre à collaborer, à faire culture commune, à prendre appui sur l’expertise d’usage des familles et des jeunes eux-mêmes, à transférer toute la technicité développée historiquement dans le secteur spécialisé par une variété de corps de métiers, vers l’école et ses enseignants. Il faut imaginer les nouveaux contours de l’action médico-sociale, décentrée, plus ouverte, plus agile, plus connectée avec l’environnement des élèves. Il nous faut donner corps aux notions d’accessibilité universelle et de compensation individuelle.

C’est exigeant. C’est coûteux. C’est complexe.

On ne peut pas simplement réduire la scolarisation des élèves en situation de handicap à toujours plus d’Accompagnants d’Élèves en Situation de Handicap (AESH, aussi appelés AVS) ou à plus de places dans des structures spécialisées.
Il faut définir les besoins éducatifs particuliers des élèves (dont les élèves en situation de handicap), notion intrinsèquement pédagogique relevant de la compétence des enseignants, chercher à comprendre comment cet enfant fonctionne seul ou dans le groupe et travailler aux ajustements utiles pour les apprentissages, les progrès, les savoirs faire et les savoirs être, plutôt que se demander « comment faire disparaitre la différence » ou « qui d’autre peut s’en charger ».

Levons enfin toute ambiguïté.

Construire une société inclusive, c’est prendre en compte de façon équitable les besoins singuliers, et donc des plus vulnérables, pour proposer si nécessaire un accompagnement adapté à chaque individu et aux réalités de vie des familles.

Ce n’est pas la disparition du secteur médico-social, c’est sa transformation au service des aspirations des personnes concernées. C’est ainsi avoir une attention toute particulière pour les situations les plus complexes qui doivent pouvoir continuer à mobiliser des ressources significatives pour leurs accompagnements. Ce n’est pas un transfert de charge de travail à moindre coût ou une institutionnalisation de la maltraitance comme nous avons pu le lire. C’est au contraire une invitation à reconnaitre l’accès de chacun au collectif, à rendre visible la diversité comme une richesse et à progresser vers le vivre ensemble.
 

Signataires :

Diane Cabouat – Parent et présidente DFD Paris
 (Dyspraxie France Dys)
Nicolas Eglin – Parent, professionnel du secteur médico-social et président de la FNASEPH
Christine Getin – Parent et présidente HyperSupers – TDAH France

Emmanuel Guichardaz – Responsable questions scolaires – Fédération Trisomie 21 France
Vincent Marron – Parent et président DFD
 (Dyspraxie France Dys)
Marie-Christine Philbert – Parent et enseignante retraitée

Nathanaël Raballand – Parent et président de Trisomie 21 France