Kéran : artiste

dfdnational_002logo20percent_coul_rvbBonjour, peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Kéran, j’aurai 18 ans en avril. J’habite à Bénéjacq, qui est une petite commune du Béarn.

J’aime la vie, j’aime le cirque, j’aime l’art.

Je prépare un CAP « sculpture sur bois » au lycée des métiers d’art de Coarraze

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Je souffre de troubles dysexécutifsi ; je suis donc très lent à l’écrit, et j’ai un gros problème d’organisation. Cela m’a gêné dans ma scolarité, d’autant plus que cela fait très peu de temps que j’ai été diagnostiqué.

Quand on a posé le diagnostic cela m’a soulagé. Maintenant les professeurs comprennent mon problème. Ça a été important aussi par rapport aux autres ; je me sentais différent, j’étais vraiment mal. Maintenant ça va mieux. Et je suis dans un lycée super cool….

Alors justement, parle- moi de ta formation :

J’ai choisi cette formation parce que cela me libère de tout le système de travail classique (le lycée avec les devoirs etc.) et que j’aime l’art. Je ne connaissais pas particulièrement le travail du bois, et cela me plaît beaucoup. J’aime que quelque chose prenne forme dans le bois, créer des objets, des sculptures que j’ai conçus.
Au début c’était très difficile, parce que je ne connaissais pas la matière mais maintenant cela va mieux.

Le CAP que je prépare est plutôt conçu pour continuer sa formation. En ce qui me concerne, je souhaite continuer par un BMAii (Brevet des Métiers d’Art) céramique d’art, que je préparerai à Limoges. L’entrée dans cette formation se fait sur dossieriii. Puis j’envisage de continuer par l’école des Beaux-Arts de Tarbes. En fait, le BMA me permettra de rentrer aux Beaux-Arts, puisque c’est un niveau bac et qu’il faut un bac pour rentrer aux Beaux-Arts.


dfdnational_002logo20percent_coul_rvb Et pourquoi la céramique ?

keran02Parce que c’est toucher à d’autres formes d’art, à d’autres matières. Je fais de la terre chez moi, et dans ma formation actuelle je l’utilise. En effet, avant de faire une sculpture en bois, on la réalise en terre, afin de voir les volumes. J’ai déjà fait des statues en bois et des bas reliefs, et en terre des rondes bossesiv.

Pour en revenir à mon CAP, c’est un des plus difficiles car les épreuves terminales sont exigeantes. Par exemple, on doit réaliser une œuvre en bois. Avec mon tiers temps, j’aurai 7 heures pour réaliser cette œuvre.

dfdnational_002logo20percent_coul_rvb Qu’en est-il de tes difficultés ? Elles ne t’ont pas gêné pour ces activités manuelles ?

Non au contraire, le fait d’avoir ces problèmes a développé mon côté artistique.

C’est vis-à-vis des professeurs que c’est difficile, parce qu’ils ne comprennent pas forcément mes difficultés, comment je fonctionne. Il y a eu des réunions pédagogiques au lycée, avec mes parents, qui ont permis de les expliquer. Du coup les professeurs comprennent mieux.

dfdnational_002logo20percent_coul_rvb Tu as dit que tu faisais du cirque aussi ?

Oui j’ai commencé à l’âge de 5 ans. Je jongle, je fais de l’équilibre. Je participe depuis peu à des séjours de vacances avec l’école Prés en Bulles d’Auch, et à chaque fin de séjour on organise des spectacles en présentant des numéros.

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dfdnational_002logo20percent_coul_rvb As-tu un message à faire passer ?

Il faut apprécier ce qu’on a, ça ira mieux ;). Par exemple, l’activité artistique me permet de m’exprimer, de faire ce que j’aime.

La parole à Bruno, le père de Kéran

Kéran positive beaucoup, toujours, c’est dans sa nature. Il n’a pas forcément conscience de toutes ses difficultés, il ne les voit pas comme nous, qui le connaissons bien.

Le diagnostic a été posé il y a à peu près deux ans. Nous pensions qu’il fallait avoir l’avis d’une orthophoniste ; mais non. Il a fallu en voir trois ; c’est la dernière qui nous a conseillés de nous tourner vers le centre référent des troubles des apprentissages. Cela a donc été long, très laborieux, plusieurs années de flou artistique, avant d’aboutir à un diagnostic. Et une fois le bilan posé, il nous a fallu le comprendre, nous approprier le fait qu’il ne s’agissait pas de difficultés mais d’un syndrome, d’un trouble. Ce diagnostic a permis d’apaiser les choses concernant nos attentes envers Kéran, en fonction de ses possibilités. Comprendre qu’il y a un processus qui doit s’accomplir. Kéran a sa propre personnalité, qui s’est intriquée avec son trouble. Mais il ne se résume pas à ce trouble, on ne le résume pas à ça ; on voit d’abord ce qu’il est.

Kéran a une très belle personnalité (et je ne dis pas ça parce que je suis son père) ; il touche les gens. Je pense que c’est sans doute aussi parce qu’il a dû toujours compenser. Dès l’âge de 3 ans il a su mettre les gens dans sa poche, y compris une directrice de maternelle qui ne voulait pas l’accueillir dans sa classe parce qu’il n’était pas encore tout à fait propre…. et dont il a été le chouchou au bout d’une seule journée. Sa personnalité a permis qu’on le voie comme ça. Tout le monde n’a pas cette capacité, cet atout relationnel majeur.

Il a navigué comme ça, sans trop de difficulté, jusqu’à la fin du primaire. Ça allait très bien parce qu’il était dans un milieu contenant. Nous avons pris la mesure de ses difficultés en 6ème, quand tout s’est effondré.

Kéran ne prend pas conscience complétement de ses difficultés, il ne voit pas que ses efforts ne sont pas toujours suffisants ; car il fait beaucoup d’efforts, il s’applique beaucoup. Il commence juste à en prendre conscience. Je l’aide à ça, avec son accord bien sûr. Je porte un regard sur son travail, pour dire quand ça ne va pas. Heureusement il est en capacité à assumer, à intégrer tout ça. En fait il ne voit que les choses qui vont bien, elles seules lui apparaissent.

Pourquoi l’art ? Je peints, je fais de la terre, je suis attaché à tout ce qui est dans le domaine artistique, la poésie, la musique… Kéran a une sensibilité, un intérêt profond, dans son être ; il développe ça tranquillement. Il a une personnalité sensible et une approche tranquille de la vie.

Dès qu’il a pu poser des mots sur sa problématique, il a pu se vivre de façon un peu plus tranquille, sans angoisse. Et puis il a la foi chrétienne, qu’il vit comme un soutien spirituel à sa problématique. Avec tout ça il s’ouvre, en regardant vers le haut.
Je me suis attaché à être toujours présent, au mieux par rapport à sa problématique (faire les accompagnements, rencontrer les enseignants etc.). Nous aussi avons été soulagés et avons moins d’exigence envers lui. Nous prenons en compte ses difficultés, y compris dans l’expression de sa pensée. Quand les choses le concernent il est clair, sa pensée est organisée, mais quand s’est plus éloigné ou abstrait, c’est beaucoup plus difficile.

Ce syndrome chez Kéran n’a pas d’impact négatif dans notre vivre ensemble. Rien qui touche nos relations, crée des désaccords ou des incompréhensions ou du stress. Par contre il faut être là pour l’aider à s’organiser, à voir clair. Y compris dans la vie quotidienne ; je m’attache par exemple à ce qu’il range un peu sa chambre, car on ne peut pas voir clair dans une chambre en bazar… Il est « dystemporel » : il n’est pas lent, il vit à sa vitesse, son rythme, qui n’est pas forcément le nôtre.

Actuellement, avec l’ergothérapeute aussi, on essaie de faire en sorte qu’il devienne plus autonome dans sa formation et sa vie quotidienne. Mais c’est un peu paradoxal, de travailler sur l’organisation alors qu’il a un problème d’organisation. On est dans les projets et dans son quotidien en même temps. Pour l’instant c’est tranquille, par rapport à son projet, il chemine tranquillement.

Le choix de ce CAP était un coup de cœur, j’avoue que c’est moi qui lui ai parlé du bois. Il avait conscience dès le départ qu’il faudrait qu’il fasse autre chose après. En fait, Kéran était plutôt parti sur le cirque, ou le dessin manga. Par rapport au cirque nous n’étions pas opposés mais quel avenir professionnel y avait-il ? De toute façon ça lui appartient, il aura d’autres possibilités dans sa vie de réaliser ces projets. Kéran avait besoin de quelque chose de simple, de concret. Il ne sera peut-être pas céramiste, mais cela n’est pas grave. On l’aide à avancer, à ne pas lâcher prise sur les difficultés.

Quand il va partir pour préparer son BMA, au départ il sera en internat, cela donne un cadre. Et puis il gèrera, il faudra qu’il trouve les bonnes personnes, et peut-être vivra dans son désordre si c’est ça sa vie… Il rêve de vivre dans une cabane, dans la nature, il n’a pas de stress dans l’organisation de sa vie. Il faut juste l’aider à mener à bien son projet. Je ne suis pas inquiet pour son avenir, même si pour le moment c’est un peu flou. Il a des capacités, il saura faire face.

Il m’a fait confiance par rapport au choix de la céramique, et

on essaie de travailler là-dessus. La confiance fait qu’il veut m’écouter, tenir compte de ce que je lui dis, et il sait qu’il a besoin de cette aide.

Vraiment, pour le moment, le syndrome dysexécutif n’a pas d’impact négatif autour de lui, les portes peuvent s’ouvrir. Il aime les relations, et ça fonctionne bien. Les gens l’apprécient.

Peut-être un jour il y aura une crise par rapport à son handicap ; on verra. Si ça se produit, il faudra qu’il la gère. Cela serait peut-être bien d’ailleurs, Nous verrons bien…


i Le système exécutif sous-tend l’activité de planification, supervision et gestion de la pensée et des conduites. Le syndrome dysexécutif indique un mauvais fonctionnement de ce système

ii Diplôme national de la filière des métiers d’art qui vise à conserver et transmettre les techniques traditionnelles tout en favorisant l’innovation. Il est accessible au titulaire d’un CAP du même secteur professionnel. Il permet d’accéder au diplôme des métiers d’art

iii et il faut avoir un bon dossier, le BMA céramique de Limoges étant très demandé puisque Limoges est la capitale des Arts du Feu

iv Le bas relief est une sculpture adhérant à un fond, sur lequel elle se détache avec une faible saillie. La ronde bosse est une technique de sculpture en 3 dimensions ; ce sont les statues classiques.